Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du jeudi 21 novembre 2024
Politique de l'eau

Les élus craignent une augmentation inévitable du prix de l'eau 

Le « mur des investissements » et la raréfaction de la ressource en eau rendent inévitable une forte augmentation du prix de l'eau, qu'il va falloir faire accepter au contribuable comme au législateur : c'est l'une des principales conclusion du forum sur la gestion de l'eau, qui s'est tenu hier lors du Congrès des maires.

Par Emmanuel Guillemain d'Echon

« L’adage ‘’l’eau paie l’eau’’ n’a plus de sens ! », a jeté en ouverture du forum sur la gestion de l’eau André Flajolet, maire de Saint-Venant (Pas-de-Calais), président du comité de bassin Artois-Picardie. En effet, « l’eau est un patrimoine en danger », a-t-il ajouté, entre les 500 milliards d’euros nécessaires à la modernisation du réseau, le changement climatique qui pose le problème du partage d’une ressource en raréfaction, les pollutions croissantes et l’impératif besoin de lier le « petit cycle »  de l’eau – la production et distribution de l’eau potable – et son « grand cycle »  - le système des pluies et nappes phréatiques.

« Il faut se préparer à une augmentation des coûts de l’eau de 50 à 100 % dans les dix prochaines années », a prédit Régis Taisne, chef de projet Cycle de l’eau à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). Ce d’autant plus qu’avec les efforts récents pour économiser l’eau, « moins de mètres cubes consommés signifie moins de financements : l’eau paie l’eau… et la biodiversité, et la Gemapi, et le déficit de l’État… » 

En effet, la récente décision du gouvernement, une fois de plus, va dans le sens inverse des besoins en financement du secteur de l’eau, avec une énième ponction de 130 millions d’euros sur la trésorerie des agences de l’eau, prévue dans le projet de loi de finances pour 2025 (lire Maire info du 21 octobre 2024), pour renflouer les comptes de l’État.

À l’heure où il faudrait 6 à 7 milliards d’euros par an pour assurer la modernisation du réseau, dont le rendement moyen est de 80 % mais peut atteindre les 40 % dans certaines communes, « et avec la baisse de 60 % du Fonds vert, c’est un très mauvais signal pour le financement de l’eau », s’est inquiété Bertrand Hauchecorne, président de séance, maire de Mareau-aux-Prés et référent AMF sur les politiques de l’eau.

Ce d’autant plus qu’il existe un autre enjeu important : celui de la dépollution. Comme l’a fait remarquer un maire du Morbihan, Jean-François Marie, président de l’établissement public de bassin Eaux et Vilaine, « en quarante ans, on a perdu 27 % des captages en France pour cause de pollutions diffuses », notamment agricoles. Pour cet élu, « la seule solution pour accompagner nos agriculteurs est que les prélèvements du petit cycle de l’eau accompagnent le grand cycle ».

Un motif d’espoir, a fait remarquer André Flajolet, est que « depuis deux ans, l’eau est en haut de l’agenda politique »  – d’ailleurs, a renchéri Bertrand Hauchecorne, « il y a vingt ans, on n’aurait pas été aussi nombreux à un forum sur l’eau ».

Plus de solidarités entre territoires

Pour Joël Balandraud, vice-président de l’AMF et maire d’Évron, ce n’est pas forcément bon signe car l’eau est devenue « un sujet de conflit très dur sur les territoires »  car « longtemps, on a eu trop d’eau, et on n’a jamais réfléchi à un rapport raisonnable au sujet », contrairement à des pays comme l’Espagne ou l’Italie, où elle manque depuis longtemps déjà.

Lui reste cependant pour la « liberté »  dans l’organisation de sa gouvernance, selon les enjeux et les volontés des territoires concernés, et à ce titre il a salué la proposition de loi votée au Sénat le 17 octobre, qui a ôté le caractère obligatoire du transfert de la compétence eau aux intercommunalités (lire Maire info du 18 octobre 2024).

Pour Alain Matheron, président de la communauté de communes du Pays Diois, qui en zone de montagne, est confrontée au manque croissant de neige et donc de ressource en eau, il faut une solidarité supra-communale et même « au-delà »  des intercommunalités – ce qui rend les ponctions sur les budgets départementaux et des agences de l’eau d’autant plus inquiétantes.

Comme l’a fait remarquer Régis Taisne de la FNCCR, la totalité des communes ayant été en rupture d’approvisionnement au cours des deux dernières années de sécheresse étaient des communes isolées, qui dépendaient de leurs propres forages et n’avaient pas d’interconnexions avec leurs voisines.

L’exemple du syndicat Noréade, qui s’étend sur trois départements dans le Nord de la France, est parlant de ce point de vue puisqu’il regroupe près de 700 communes, représentées dans la gouvernance par un système de collège électoral qui leur donne une voix chacune, afin d’élire 123 délégués. La mutualisation des moyens a permis de construire un réseau d’interconnexion de 200 kilomètres et de « dégager plus de 100 millions d’euros par an pour l’investissement », a expliqué Danielle Mametz, maire de Boeseghem et vice-présidente de la FNCCR.

Pour Dominique Peduzzi, maire de Fresse-sur-Moselle, avec la raréfaction de la ressource et l’augmentation des « tensions entre ceux qui ont de l’eau et ceux qui n’en ont pas », il va « falloir anticiper un partage sous contrainte et sous l’égide de la force publique ».

Liberté ou contrainte, le choix ne sera pas facile mais quoi qu’il arrive, « le changement climatique va continuer », a déclaré Bertrand Hauchecorne, et « il faudra de la clairvoyance pour bâtir à long terme ».

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